Le naufrage
Les événements du hangar numéro 12 n'étaient passés inaperçus comme mon compte-rendu vous l'avez fait comprendre. La police avait rapidement cédé la place au FBI et nous avons longuement été interrogés, tandis que nous soignions les brûlures que le gaz corrosif avait laissées sur nos peaux. Nous restâmes deux semaines à l'hôpital, le directeur du FBI en personne, William J. Flynn, vint nous rendre visite pour nous faire part de sa position sur toute cette affaire.
Officiellement, les attentats étaient le fait d'anarchistes, les Galleanistes, un groupe organisé autour du journal Cronaca Sovversiva (La chronique subversive). Puis, tout en fumant un affreux cigare dont la fumée mettait à rude épreuve mes poumons encore fragiles, il déclara à notre grande surprise sur un ton qui ne souffrait aucune contestation que la nation reconnaissante nous offrait une croisière vers une station balnéaire quelque part du côté de Boston, afin de purifier nos poumons grâce au bon air marin de la Nouvelle Angleterre. Nous embarquions demain matin ! Le Directeur nous fit aussi clairement comprendre que nous n'avions aucun intérêt à laisser courir des rumeurs extravagantes.
1 octobre 1920 - Navire Olympus Princess
Le Princess of Olympus, lieu de notre croisière. |
Le lendemain, nous étions conduit sur le pont du Princess of Olympus, un navire de luxe qui devait nous emporter dans un établissement balnéaire de soins. On nous informa tardivement que le navire était à destination de Portland, à une centaine de kilomètre au Nord de Boston et que la croisière durerait deux jours.
J'envisageais ces deux jours comme l'occasion de faire des rencontres. C'était aussi le cas de Francesco qui tenta de lier connaissance avec la Famille Lendberg dont la petite dernière, Alicia 9 ans, semblait atteinte d'une lourde insuffisance respiratoire. Sa peau, ses lèvres et ses mains prenaient une teinte bleuâtre inquiétante. Pour elle, ce voyage était un peu la cure de la dernière chance. Triste histoire. Quant à mon ami John, il avait fort à faire avec la concurrence. En effet, Allan Smalder, acteur de second rôle mais jouissant d'une petite notoriété, ne cessait de jouer au coq dans la basse-cours au milieu d'une petite cour d'admiratrices. Mais ce n'était qu'un dandy sans aucune expérience.
Parmi les passagers, j'avais reconnu le psychologue russe répondant au nom de Kerenski. Le malheureux dut intervenir pour calmer Stella Northshore, l'épouse d'un richissime banquier de Wall Street, dont la raison avait vacillé suite à l'attentat. Ilia Droudji la journaliste était présente aussi et dès qu'il en prit conscience Francesco en bon italien entreprit de la séduire....sans grand succès. Bref, je ne trouvais personne digne de ma compagnie.
3 octobre 1920 - Quelques part en mer
Durant la nuit, la mer avait forci. Le lendemain, plus la journée avançait et plus la houle se faisait forte. Le navire dut affronter des vagues toujours plus hautes. Le commandant s'appliquait à les affronter de face, mais soudain le navire fit une embardée et perdit son cap, ce qui le laissa à la merci des paquets d'eau qui le prirent par le travers.
C'est à cet instant que je vis la petite Alicia sur le pont. Mais je posais à peine le pied dehors que la fillette fut emportée par une vague. Sans réfléchir Allan, lui-aussi témoin de la scène, plongea aussitôt à son secours. Le courageux idiot: maintenant il y avait deux personnes en perdition. Tout en appelant au secours, je jetais une bouée à Allan qui ne surnageait que difficilement. L'acteur s'en sait, il était sauf.. A cet instant, Francesco me rejoignit avec une seconde bouée. Faisant un signe à mon compagnon, je plongeais à mon tour dans les eaux furieuse. Aidée de la bouée remise par Francesco, je dépassais rapidement Allan et atteignit Alicia. Quelques longues minutes plus tard, je me tenais sur le pont tremper et épuisé mais la petite était sauve.
Comme dans un mauvais remake les choses s'emballèrent. Francesco et moi avions remarqué que le navire était en perdition car nous ne sentions plus le ronronnement des moteurs sous nos pieds. Après un rapide entretien avec le capitaine, je me proposais pour me rendre dans la salle des moteurs. Le courage légendaire de Francesco le poussa à rejoindre Maryse et surtout Illia pour les rassurer. C'est donc avec John que je descendis dans la salle des machines, non sans avoir récupéré mon arme Un soldat écoute toujours son instinct, et mieux vaut compter sur un bon pistolet que sur la chance John suivit mon exemple. Bien nous en prit car à notre grand horreur, nous découvrîmes que les moteurs avaient été sabotés et l'un des mécanos était bien décidé à nous faire la peau. Il le paya de sa vie !
Cependant le mal était fait ! Dans un bruit d'enfer, la chaudière explosa , privant définitivement le navire de moyen de propulsion, pire encore le gouvernail était détruit. Le navire était désormais livré aux caprices d'Eole. Selon moi, il fallait lancer un SOS et évacuer le navire tant que nous en avions les moyens, le capitaine refusa tout net. Plusieurs s'écoulèrent donc lorsque le second hurla « Terre, terre en vue ! » À travers les trombes d'eau et la tempête, nous aperçûmes la côte, silhouette sombre à l'horizon dans le crépuscule qui s'annonçait. Se fut à ce moment- là qu'un choc violent accompagné d'un énorme craquement stoppa définitivement l'Olympus Princess.
Le capitaine ordonna enfin l'évacuation. Hélas, les évènements me donnèrent raison, l'inclinaison du navire bloquait la mise à l'eau d'un des canots. Tout le monde se précipita sur l'unique embarcation désormais disponible. Hurlements, cris , panique et mort étaient au programme. Dans tout ce chaos ambiant, Francesco s'évertuait à sauver sa malle et ses écrits ! Quel scribouillard ! Nous finîmes par le convaincre de ne prendre que petit livre noir de P.Fisher.
Je passerai sur l'horreur de cette terrible nuit. Peu d'entre nous réussirent à atteindre la côte et à se mettre à l'abri dans une sorte de grotte creusée dans la falaise contre laquelle nous avions été été drossés. Nous n'étions qu'une douzaine se blottissant les uns contre les autres et attendant le petit matin en essayant d'oublier la terrible vérité : que la majorité des passagers a péri lors du naufrage.
2 octobre 1920 - terre inconnue
Au petit matin, la mer s'est calmée. La marée était basse et permettait de sortir de la grotte où nous avions passé la nuit pour parcourir la grève rocheuse. Francesco me fit part d'une chose étonnante: il n'y avait aucune trace de l'Olympus Princess, comme si le navire n'avait jamais existé. Pour ma part, j'indiquais à l'italien qu'autre chose m'inquiétait plus encore: il n'y avait aucun corps sur la plage ! Où étaient passés les cadavres de nos infortunés compagnons ? Nous nous ouvrîmes de nos inquiétudes à Maryse et John uniquement.
Depuis un point haut, Nous comprîmes que nous avions mis pied sur une côte de roches et de falaises. Nous étions à l'embouchure d'une vaste baie orientée vers le Sud. Vers l'Est, un long cap abrupt avançait dans la mer. Au Sud, l'eau s'étendait à l'infini et au Nord se déployait un paysage de collines et de forêts. La bonne nouvelle, c'était que vers l'Ouest, nous aperçûmes un village de l'autre côté de la baie. L'endroit était habité, comme le confirmait le petit sentier que Maryse venait de repérer.
Après environ une demi-heure de marche, vous arrivâmes à un croisement. Le sentier principal continuait au-dessus des falaises et un autre descendait à une petite plage. Je remarquais alors quelque chose d'étrange sur la grève en contrebas. Une sorte de grand mât auquel est suspendu quelque chose. Je décidais d'aller jeter un oeil, aucun de mes amis ne souhaitant m'accompagner car trop exténués. .
Sur le sable humide, à peine découvert par la marée, un horrible spectacle me soulèva l'estomac. Le cadavre d'un homme était attaché à un mât métallique, tête en bas. Sa cage thoracique a été ouverte et il a été vidé de tous ses organes. Il sèchait au soleil comme un vulgaire poisson, comparaison accentuée par ses yeux étrangement protubérants. Mais mon malaise atteignit son paroxysme lorsque je réalisais que le mât est en fait une partie de l'arbre moteur d'un grand navire. Était-ce celui du Princess ? Cela semblait impossible. Qui pourrait avoir eu la force de dresser un tel monument au cours de cette nuit de tempête ?
Il n'y avait pas d'autres empreintes de pas que les miennes sur cette plage. Durant un instant, je crus identifier mais sans certitude, le corps d'un des mécaniciens du Princess Olympus reconnaissable aux traces de charbon que même la mer n'avait pas réussi à effacer. C'était pure folie ! Je remarquais un dernier détail horrible avant de quitter l'endroit maudit : le cadavre n'avait plus ni main, ni pied.
De retour auprès de mes compagnons, je leur fis part de ma sinistre découverte. Francesco l'accueillit comme à son habitude avec scepticisme, voire mépris. Il ne voyait là que billevesées et obscurantisme !
Comment ne pouvait-il pas sentir ce qui me semblait si évident: le Mal sourdait de cet endroit par le moindre rocher, le moindre arbre.
Nous continuâmes vers l'ouest, sur le sentier principal, pendant encore quelques heures, ignorant toutes bifurcations. Fait remarquable,. nous traversâmes une gorge profonde, au fond de laquelle coulait une rivière, en empruntant un vertigineux pont de corde. La faim et la soif nous tenaillaient quand enfin le sentier déboucha au-dessus du village que nous avions aperçu. Des cultures en terrasses surplombaient les maisons aux toits de pierre. Là, un vieux cultivateur qui piochait une parcelle nous accueillit avec surprise... Il s'appelait Max et se proposa de nous accompagner au village afin de rencontrer le père Fishburn.
Garder la dernière balle, toujours garder la dernière balle :D
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