dimanche 21 mai 2023

Dark Heresy

Le tranchant des ténèbres

Prélude

Pocus referma l'ouvrage consacré à Saint Drusus et le reposa sur la table. Il soupira profondément afin de repousser l'anxiété grandissante qui menaçait de s'emparer de lui. Après avoir été isolé puis introduit au service de l’Inquisition, les choses ne s'était pas tout à fait déroulées comme le jeune adepte l’avait imaginé. Débarrassé de sa vie passée, il avait été évalué, testé et questionné. Hormis quelques lectures données dans des chambres obscures qui l'avaient rendues nauséeux, et un flot apparemment infini de codes et de cryptogrammes que l’on lui avait fait mémoriser et détruire, il avait été en grande partie livré à lui-même.

Logeant sous un faux nom dans un bloc d’habitation de la ruche Sibellus sur Scintilla, le monde-capitale du secteur Calixis, il avait pris son mal en patience durant des semaines, attendant des nouvelles de ses maîtres, ainsi que leur verdict. Enfin, le moment était venu et un messager lui avait apporté un courrier sur lequel figurait le code secret des saints ordos. Le message à l’intérieur était simple et direct, indiquant une heure, une date et un lieu. Les instructions précisant de se préparer et de s’attendre à de la compagnie étaient signées d’un seul épithète – L’Empereur nous protège. Pocus souffla la flamme de la bougie, s'équipa et sortit de l'appartement plongeant dans les rues de Sibelius …


À l’heure dite, Labienus traça lui-aussi son chemin à travers la masse anonyme du quartier de l’Administratum vers une plateforme ascensionnelle de service discrète, située à l’arrière d’un immeuble imposant recouvert de bas-reliefs figurant des crânes, urnes et autres symboles liés à la mort. Au sommet siégeait l’immense statue d’un saint en lamentations. À sa grande surprise, il semblait attendu.  Adossé sur l'un des murs, un jeune ruchard à l'âge indéterminé le scrutait. L'homme portait un long cache-poussière gris urbain qui dissimulait mal un canon de poing passé à la ceinture et un couteau de combat. Il fixa le copiste d'un regard froid avant de désigner d'un hochement du menton le visage ratatiné d'un serviteur intégré à la plateforme qui dardait sur le nouveau venu un regard mort.

Labienus déglutit avec peine et osa une question :

" C'est bien ici le rendez-vous ? Je ne suis pas le seul à avoir été convoqué. Je sais que la note le précisait mais …"

Son vis-à-vis l'ignora portant son attention au-delà du scribe qui se retourna pour faire face aux regards inquisiteurs de deux autres acolytes dans un silence de mort. Le premier était à l'évidence originaire d'un monde à forte pesanteur car il était aussi petit que large. Une barbe sale s'étalait sur sa large poitrine et ses grosses mains tenaient fermement un fusil laser réglementaire. Labienus identifia le nouveau venu comme un squat issu des rangs de la garde impériale comme en attestaient son uniforme usé et sa tenue pare-balle. Une pensée incongrue traversa l'esprit de Labienus : ses doigts ressemblaient à des petites saucisses. Se reprenant, il jeta un coup d'œil au second personnage, à l'évidence un adepte du culte impérial. En effet,  Pocus ne cachait pas son allégeance à l'impérium avec sa robe de l'écclesiarchie et son pendentif de l'aquila.

Le signal de contrôle du serviteur sonna, son visage s'animant brusquement. La porte de la plateforme glissa pour inviter les quatre agents puis se referma dans un bruit de tonnerre lorsque le dernier y entra. Le nain grommela en venant se positionner entre le scribe et l'adepte :

" Soldat Norton, pour vous servir.  Et je ne suis pas modifié ! Je suis juste petit, espèce de drongo!

Puis le silence s'installa de rechef dans la cabine qui descendit durant quelques minutes à travers les niveaux de maintenance, jusque dans les entrailles du district gouvernemental. Lorsque la plateforme ascensionnelle arriva à destination, les acolytes se trouvèrent face à un grand couloir gris, illuminé par des lumiglobes prenant la forme de chérubins tenant une torche. Seul le début du couloir était éclairé, le reste se perdant dans les ténèbres. Lorsque le ruchard descendit de la plateforme d’autres lumi­globes s’illuminèrent pour indiquer la voie à suivre. Le groupe lui emboîta le pas et à mesure qu’il avançait, de nouveaux lumiglobes s’allumèrent alors que s’éteignaient ceux qui se trouvaient derrière eux. 

Il n’y avait qu’un seul chemin dans ce couloir sans âme qui dégageait une vague odeur de désinfectant médical. Si le ruchard et l'ancien soldat ne semblaient pas impressionnés, il n'en était pas de même pour Labienus qui commençait à regretter ses godets et ses calames. Pocus gérait quant à lui la tension en récitant à voix basses de saints versets du credo.  Au bout de cinq minutes de marche, le couloir s’acheva sur une lourde porte de métal renforcée qui se déverrouilla dans un sifflement de pressurisation et s’ouvrit avec un grincement dû au mécanisme à engrenages. La pièce se trouvant de l’autre côté était emplie d’un fatras de caisses poussiéreuses posées contre l’un des murs. Un lit à roulette hospitalier équipé de sangles avait été abandonné, renversé, contre l’autre mur. L’élément le plus marquant de la pièce restait un large miroir qui recouvrait la partie haute du mur opposé à la porte. Le miroir devint lentement transparent, révélant la pièce aux murs d’acier brillant située derrière. À l’intérieur de cette pièce se tenait une grande et longue silhouette vêtue de robes de medicae avec un incongru manteau de cuir rouge passé sur les épaules. Derrière lui, recouvert d’un drap grisâtre, se trouvait ce qui ressemblait à un corps posé sur une sorte de structure suré­levée afin d’en permettre l’examen. Au-dessus d’eux, un couple de crânes équipés d’instruments en laiton et de longues aiguilles hypodermiques, flottaient lentement. L'étrange personnage invita les acolytes à se diriger vers la vitre d’un geste de sa main gantée. Avec un léger cliquetis, sa voix se fit entendre au travers d’une grille située dans le plafond. 

L'interrogateur Sand accueille les acolytes

" Salutations, acolytes. Je suis le medicae-interrogateur Sand et vous êtes les nouvelles recrues, n’est-ce pas ? Les atouts de valeur dans notre guerre ? Bien, nous verrons cela, loin de moi l’idée de juger des choix de mes supérieurs. Mais venons-en à notre affaire. Je représente les saints ordos de l’Inquisition impériale que nous servons tous. Nos maîtres vous ont convoqués ici afin de nous assister dans une récente enquête du plus haut intérêt. Ah, oui, pour information vous êtes dans les profondeurs du Templum Mori, la maison des morts où les seigneurs Prefecta Mortem tiennent leur cour et où les déchus et disparus de la grande cité sont identifiés et recensés. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que vous êtes ici pour voir un corps, je doute que ce soit votre premier, mais celui-ci à quelque chose de… très particulier. »

Mettant de côté le drap gris, il révéla le corps disséqué et éviscéré d’un homme adulte. Alors qu’il continuait à parler, les servocrânes s’affairaient, disparaissant un instant pour réapparaître avec des échantillons organiques immondes dans leurs tubes à essai, maintenus au bout de leurs appareillages de façon à ce que Norton et ses compagnons puissent les examiner.  Labienus, copiste de son état, sentit son estomac se retournait et la bile remonter. C'était son premier cadavre et il se fit violence pour garder son petit déjeuner à l'intérieur. L'interrogateur poursuivit :

" Maintenant, si vous voulez bien me prêter attention, je répondrai aux questions juste après. Le corps a été formellement identifié comme celui de Saul Arbest, sexe masculin, vingt-trois ans, hab-ouvrier, travailleur non qualifié certifié. Anciennement sous contrat servile avec Tantalus, adresse enregistrée : chambre 6/23 tour-hab 717# division Coscarla, zone sud, ruche Sibellus. Sujet trouvé mort sur la voie du transpole au niveau intermédiaire de la ruche il y a trois jours alors que le transpole revenait au dépôt. L’examen préliminaire fait sur place concluait à une mort par overdose. L’autopsie pratiquée par les légistes biologis a cependant révélé certaines anomalies nécessitant notre intervention. La cause de la mort était en réalité due à un rejet des tissus d’un implant synthétique greffé. L’organe implanté a détruit son système nerveux central en tentant de vaincre son système de défense immunitaire. En résumé… "

Un servocrâne exhiba un bécher contenant un appendice blanchâtre d’une dizaine de centimètres composé de tentacules translucides en mouvement, et donc toujours vivant.

" …ça l’a tué de l’intérieur. À quoi cela sert-il ? Son rôle est inconnu mais, à mon avis, ça tient en un mot « contrôle » – domination neurale et synaptique, peut-être pire. D’autres greffes et des actes de chirurgie plus communs ont été pratiqués. Un poumon remplacé par une cavité dissimulée, probablement pour l’utiliser comme mule. Un nerf optique a également été sectionné, et la peau de son estomac retirée, j’ignore dans quel but. Son système est saturé d’agents chimiques, de caillots et de panimmune.

L’acte chirurgical est l’œuvre d’un expert, mais d’après les lésions et traumatismes des tissus, je doute que les précautions suffisantes aient été prises et que cela fut sans douleur. En fait, si je me réfère aux dommages infligés à ses cordes vocales, je dirais qu’il a probablement hurlé aussi longtemps qu’il en a été capable. Mais c’est ce petit monstre qui nous concerne. Oh, vous n’avez pas besoin de posséder de connaissances génétiques ou l’édit Omnissien, pour savoir que ce n’est pas légal, c’est même strictement interdit, c’est de l’hérésie. Fricoter avec ce type de sombre technologie vous garantit d’être condamné à mort par les saints ordos, l’Arbites ou le Mechanicus

Je suis certain que vous, comme moi, brûlez d’envie de savoir comment cette chose s’est retrouvée autour de la colonne vertébrale d’un simple prol. L’homme n’avait pas de casier judiciaire, il est devenu invalide il y a soixante jours et porté disparu il y a trente jours par sa sœur, une certaine Lili Arbest, résidant dans la même tour-hab. Trente jours, c’est plus que suffisant pour se mettre dans les ennuis. Ces greffes n’ont pas plus de huit ou dix jours. Nous ne savons rien d’autre sur lui. Cette enquête doit être effectuée sous couverture. Les autorités n’ont pas été averties, et personne ne sait qu’il est ici. Coscarla est une sous-ruche dure, une approche discrète attirera moins l’attention qu’un coup de pied dans la porte. Sans compter que nous aurons moins de risques de liquider une piste conduisant à notre hérétique. Trouvez pourquoi et où si vous le pouvez. Mieux encore, trouvez comment. Soyez parfaits et trouvez le responsable. Allez, que la grâce de l’Empereur-Dieu vous accompagne. Ah, et d’autres échantillons seront les bienvenus si vous pouvez en trouver. "

Son exposé terminé, l'interrogateur attendit les questions qui allaient être inévitablement posées. Se fut par ce biais que Labiénus et ses deux autres compères prirent connaissance de l'identité du ruchard. Il répondait au sobriqué de Ismhaël comme Sand le lâcha Sand dans sa réponse. Il semblait avoir à son actif plusieurs autres missions. 

Ismhaël avait interrogé son supérieur sur l'environnement qu'ils allaient affronter. Pour toute réponse l'interrogateur reconnu que l'Ordo possédait peu d'informations sur la division Corscala. Cependant, il leur avait préparé un dossier contenu dans une tablette de données. Ces informations n'étaient consti­tuées que de faits, Sand ne connaissait rien de la réalité du terrain, de la corruption et de la terreur qui pouvait régner là-bas. Ce qu’il voulait c'était que les acolytes fassent le travail à l’ancienne en recherchant toutes les pistes menant au funeste destin d’Arbest, découvrant ce qui avait pu se passer et dévoilant les faits menant à une conspiration. La tête de l’hérétique sur un plateau serait la bienvenue, mais il n’en attendait pas tant des novices qui formaient l'équipe

Pour conclure et avant le départ des acolytes pour leur mission, Sand  les dirigea vers l’une des caisses situées contre le mur. Elle contenait un ensemble d'équipement qui leur avait fait préparé. Ainsi chaque acolyte fut munie d'une Cognaugure de l’Épreuve Coblast , d'un vox portable, d'une lampe chem et d'un pardessus discret que Labienus laissa car il préférait garder son manteau de cuir rouge. En sus, l'agent de l'administratum reçut une tablette de données codée ainsi qu'un nécessaire de bio-échantillonnage.  Ce dernier, contenu dans une sacoche,  regroupait trois petits tubes bioconservateurs et un petit bio-auspex d’une portée d’un mètre. Réglé sur des tissus humains, l’indicateur de l’auspex émet une lueur rouge tout en produisant un son allant crescendo à proximité de tissus anormaux. Le nécessaire contenait également un scalpel monomoléculaire. Devant la mine interrogative des acolytes, Sand lâcha d'un air désabusé:

« Je ne m’attends pas à de la grande chirurgie, mais essayer de ne pas hacher le spécimen comme un steak de grox en le mettant dans l’un des tubes, d’accord ? »

Une fois que les acolytes s'eurent partagés le matériel à leur guise, Sand insista une dernière fois sur le fait qu'étant novice ils allaient devoir coopérer pour le bien de la mission au bénéfice de l’Inquisition. Sand leur confia qu’il attendait leur rapport dans « quelques jours, pas plus ». Les acolytes étaient maintenant livrés à eux-mêmes.


La suite: la cité du crépuscule

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